...C’est que la drogue est une marchandise idéale pour le capitalisme. Ce système a besoin de vendre, n’importe quoi, pourvu que ce soit vendu et que cela rapporte un bénéfice. C’est pour cela qu’il cherche à créer des besoins nouveaux, que sa publicité s’achar-ne à nous tenter d’acheter. Avec la drogue, pas besoin de créer de nouveaux besoins. Une fois prise, la drogue crée, toute seule, le besoin d’en reprendre. La publicité est inutile, et le marché garanti...
On ne passe pas bien longtemps avant qu’on nous reparle de la drogue, des trafiquants, de la population qui ne peut plus vivre normalement, ou des règlements de comptes criminels entre bandes concurrentes. Il était une fois des méchants trafiquants qui ont voulu intoxiquer nos jeunes. Mais heureusement nos gentils policiers se sont lancés à leur poursuite et font tout pour les arrêter. Voilà ce que l’on nous raconte, jour après jour. Sauf que cela fait des années, des dizaines d’années, que c’est la même histoire. L’histoire commence à être usée ; y a-t-il vraiment une chance d’en finir un jour, de cette manière-là, avec la drogue ?
Déjà, le début de l’histoire n’est pas du tout celle-là. Qui a commencé à utiliser la drogue pour intoxiquer telle ou telle partie de population, et en profiter pour en tirer de très juteux bénéfices ? Eh bien, les premiers à faire ce trafic, ce ne sont pas des bandits, mais des Etats ! La France, par exemple, a mis en place en Indochine, aux débuts de la colonisation, en 1882, une Régie de l’Opium : une entreprise officielle avec un millier de boutiques pour vendre l’opium. Cet opium, l’Etat français l’achète en Inde et en Chine. Elle le raffine dans une usine qu’elle a fait construire en pleine ville de Saïgon. Les bénéfices qu’elle en tire vont lui permettre de payer un tiers des dépenses de la colonisation.
En fait, la France ne fait alors que reprendre et améliorer une manière de faire lancée par les Anglais, 40 ans plus tôt. Dans les années 1830, l’Angleterre voulait devenir la première puissance du monde. Et pour cela, il lui fallait avaler la Chine, à l’époque la plus puissante économie du monde. L’idée des Anglais va être de pourrir de l’intérieur l’Empire Chinois, en rendant accroc à la drogue suffisamment de monde dans les milieux qui le dirigeaient. Ils vont cultiver de l’opium en Inde, qu’ils ont déjà colonisée, pour le vendre à des mafias chinoises.
Devant les ravages que fait l’opium, fumé dans des pipes, l’empereur l’interdit et en fait détruire 20 000 caisses. L’Angleterre saute sur l’occasion et déclenche ce que les historiens vont appeler « les guerres de l’opium » : elle oblige l’empereur à rendre l’opium légal, et à lui donner la ville de Hong Kong. Les Anglais en font le centre de leur trafic officiel. Ils créent même pour l’affaire une banque spéciale, la HSBC (Hong Kong and Shangaï Banking Corporation) : aujourd’hui une des premières du monde.
L’empire chinois s’effondre de l’intérieur. Des millions de Chinois partent, à Londres, Amsterdam, San Francisco. Et certains emportent l’opium avec eux. La drogue entre alors dans les villes du monde capitaliste : c’est le début de l’enfer pour des populations qui ne connaissaient pas celui-là.
C’est que la drogue est une marchandise idéale pour le capitalisme. Ce système a besoin de vendre, n’importe quoi, pourvu que ce soit vendu et que cela rapporte un bénéfice. C’est pour cela qu’il cherche à créer des besoins nouveaux, que sa publicité s’acharne à nous tenter d’acheter. Avec la drogue, pas besoin de créer de nouveaux besoins. Une fois prise, la drogue crée, toute seule, le besoin d’en reprendre. La publicité est inutile, et le marché garanti.
Bientôt, de nouvelles drogues tirées de l’opium vont être inventées et fabriquées par l’industrie pharmaceutique, toujours dans les pays riches. En 1898, l’industriel allemand Bayer invente l’héroïne. Il la vend en disant qu’elle soigne l’asthme et la toux du nourrisson. Un autre, Merck, met au point la production de la morphine en grande quantité. La morphine est un anti douleur. Le malade souffre moins, mais il devient accroc à la morphine. Aujourd’hui, Merck, Bayer, sont parmi les 10 premières industries pharmaceutiques au monde.
Mais les pays riches, qui avaient lancé la drogue, ont commencé à voir qu’il y avait des problèmes de santé publique. En 1920, les Etats-Unis interdisent les drogues, y compris l’alcool. Mais le besoin de drogues est plus fort que les interdictions. Et ce sont, maintenant, des personnes privées, qui vont se lancer dans le trafic. La première est une femme mexicaine, Lanatcha. Elle achète du pavot cultivé dans son pays pour l’industrie américaine, embauche des chimistes, et c’est parti. Les Etats auront beau réprimer, police, armée, le trafic s’adapte et rien ne l’arrête plus. Le chiffre d’affaires dépasse les 350 milliards d’euros.
La drogue est un besoin. Mais aucun dirigeant ne se pose la question du pourquoi. Si tant de gens se laissent tenter par la drogue, c’est que beaucoup ont du mal à vivre, et souffrent même de la vie que nous impose le système capitaliste. Mais ce système est incapable de se remettre en cause.