… Le Tchad, pas loin d’être le pays le plus pauvre du monde, est le centre militaire du dispositif de guerre de la France, au cœur de l’Afrique. Depuis 2014, elle y mène l’opération Barkhane contre les islamistes de la région du Sahel. Mais la France était là, déjà, bien avant que les islamistes ne naissent. En fait, elle y a toujours été depuis la colonisation…
Comment un pays comme la France réussit-il à être encore présent dans une énorme partie de l’Afrique, 60 années après les indépendances ?
Le Tchad, pas loin d’être le pays le plus pauvre du monde, est le centre militaire du dispositif de guerre de la France, au cœur de l’Afrique. Depuis 2014, elle y mène l’opération Barkhane contre les islamistes de la région du Sahel. Mais la France était là, déjà, bien avant que les islamistes ne naissent. En fait, elle y a toujours été depuis la colonisation.
Ainsi, lorsqu’elle accorde son indépendance au Tchad en 1960, la France compte d’abord sur des gens qu’elle a un peu formés. C’est un instituteur chrétien, François Tombalbaye, qui devient le dictateur. La France va venir à son secours, chaque fois qu’une rébellion le menace. Comme en Algérie à la même époque, les militaires français bouchent les puits, brûlent des villages, obligent la population à émigrer vers des villes, pour mieux la contrôler.
Les agriculteurs du Sud en ont marre de devoir cultiver le coton, comme au temps de la colonisation. Les éleveurs du Nord, musulmans, en ont marre de devoir payer l’impôt que leur impose Tombalbaye. Et les rébellions se suivent et se ressemblent. Comme les rebelles se protègent en allant de l’autre côté de la frontière, en Libye ou au Soudan, Tombalbaye croit trouver une solution en s’alliant avec ces deux pays. Mais ce rapprochement est mal vu par la France : elle laisse alors tomber Tombalbaye, en 1975, lorsqu’un coup d’Etat a lieu contre lui.
En fait, le Tchad, qui a été découpé par la France, l’Allemagne et l’Angleterre quand ils se sont partagés l’Afrique, n’est pas vraiment un pays. Et la France utilise cette faiblesse. Au lieu de l’aider à s’unifier, elle ne fait que renforcer son armée. Pas trop : juste assez pour qu’en cas de menace d’une rébellion, cette armée doive appeler les avions français à son secours.
Quelques politiciens ont essayé de se passer de la France, ils n’ont pas duré longtemps. Mais ceux qui ont choisi de collaborer avec elle sont restés, Tombalbaye pour 15 années, Hissène Habré pendant 8 ans, enfin Idriss Déby a battu tous les records avec 30 ans de dictature. Tous ont tenu face à de nombreuses rébellions, sauvés à chaque fois par l’armée française.
Le Tchad ne peut survivre en tant que pays que si son armée étouffe les rébellions. Pour exister, cette armée avale presque la moitié du budget du pays. Il lui faut des impôts, et ces impôts ne vont que dans les poches des militaires. Les paysans n’ont strictement rien en échange, et le pays reste dans la misère. La population ne peut qu’accepter ou se rebeller.
Depuis soixante ans, il a dû y avoir une douzaine de rébellions sérieuses. Chaque fois, le pouvoir a appelé la France à son secours. Si le dictateur accepte les conditions de la France, elle envoie ses avions de guerre, et le problème est réglé. En échange, le Tchad doit accepter un peu plus de présence française. Les paysans restent dans la misère ; la misère permet à de nouveaux chefs de guerre de gagner de nouveaux rebelles. Et le pouvoir devient plus dur.
C’est cet engrenage entretenu par la France qui fabrique et entretient la dictature. La France n’a même pas besoin de fabriquer un dictateur dévoué à son service. Il sort presque tout seul de la situation, du simple fait de la misère du pays, et de son armée sous perfusion de la France.
En avril 2021, le dictateur Idriss Déby a été tué, par une énième rébellion. Le président Macron s’est de suite rendu dans la capitale Ndjamena, pour lui rendre hommage. Mais dans les rues, on a vu des manifestants avec des panneaux « France, dégage ! ».
Ils ont bien raison. C’est la politique de la France qui garde le pays dans une misère noire et une révolte sans espoir. En France, il revient à la population d’être contre cette politique odieuse.