396- Ouvrier : une histoire, une fierté, un espoir

            …Il y a donc un combat entre ceux qui exploitent et ceux qui sont exploités. Et ce combat est une longue histoire, avec des hauts et des bas. Aujourd’hui, le monde ouvrier est en recul. Mais ça ne veut pas dire que l’ouvrier ne sert à rien. Plus que jamais, tout ce qui nous entoure, ce qui nous loge, ce qui nous nourrit, ce qui nous éclaire, nous chauffe ou nous habille, tout le travail ouvrier est indispensable…

            Personne ne se vante d’être ouvrier. On préfère trouver un autre mot pour dire son métier. Ou bien on n’en parle pas. On n’aurait à raconter qu’un travail sans grand intérêt, des gestes répétés et qui n’ont pas de sens, un rythme auquel on est obligé, et des journées sans qu’on ait son mot à dire, sans rien pouvoir mettre de personnel dans ce travail. 

            Il faut qu’il y ait une épidémie comme le Covid pour qu’on dise que les infirmières sont essentielles, que les caissières sont utiles, que les employés du nettoyage sont indispensables. Il faut une grève dans une usine pour qu’on réalise qu’on a besoin du travail de l’ouvrier. 

            Faites attention au métier des gens qui nous parlent à la télé, sur les réseaux : artistes, sportifs, cadres, commerçants, professeurs, médecins : pratiquement pas un seul ouvrier. Pourtant, entre un quart et un tiers de ceux qui travaillent sont ouvriers ou employés. Et il n’y a que 5 ouvriers sur les 577 députés de l’Assemblée nationale. 

            Il y a une explication à cela. C’est que le monde dans lequel nous vivons est construit sur la domination et sur l’exploitation. C’est simple : celui qui domine, qui décide et qui commande, c’est le propriétaire, celui qui possède le capital de l’endroit où le travail se fait. Le travailleur, lui, n’a rien, et ne reçoit qu’un salaire. Et une fois son travail fini, rendu au patron, puis vendu sous forme d’une baguette de pain ou d’un pot de yaourt, c’est le propriétaire qui empoche seul le bénéfice. 

            Oui, l’ouvrier est exploité. Pas comme l’était l’esclave, qui n’avait aucune liberté, mais exploité quand même. Il le ressent en travaillant : son travail ne lui reviendra pas. Sa fatigue, ses efforts vont entrer dans quelque chose qui lui échappe, qui va apporter une richesse au patron. Rien à voir avec un artiste qui peint un tableau, et qui peut le vendre, fier de lui. Rien à voir avec un cadre qui met au point une nouvelle organisation du travail. Eux ont de quoi être satisfaits, heureux de leur travail. 

            On l’oublie parfois, cette exploitation de l’ouvrier a été terrible dans le passé. Aujourd’hui, on la dénonce dans les pays pauvres, avec le travail des enfants ou les salaires de misère. Mais tout cela a commencé en Europe, dans les années 1850. Il a fallu des dizaines d'années de luttes, des luttes dures, et de nombreuses victimes. Ce sont les luttes d’ouvrières et d’ouvriers qui ont forcé les patrons, leurs gouvernements, à accepter des règles sur les horaires, sur les salaires, et en même temps, à obtenir le droit de vote, la république. 

            Une belle fierté ouvrière a existé. Les capitalistes d’Europe et des Etats-Unis ont dû reculer. Le monde ouvrier s’est senti fort, si fort qu’il s’est mis à rêver, à imaginer un monde meilleur, sans exploitation : en supprimant la propriété privée, celle qui permet aux propriétaires du capital de dominer et d’exploiter. Des pays ont fait quelques pas dans cette direction, mais nos capitalistes leur ont fait la guerre, militaire ou économique. Même si ces premiers essais n’ont pas réussi, ils ont montré qu’on peut vivre autrement. 

            Dans les années 1980, les plus gros capitalistes ont trouvé un moyen pour relancer l’exploitation. Ils ont décidé de « diviser pour régner », et cette fois à l’échelle du monde. Ils sont allés exploiter de nouveaux mondes ouvriers : en Chine, en Amérique latine, dans les pays pauvres. Là-bas, ils ont cassé les salaires. Comme cela, ils ont pu revendre ici les vêtements ou les téléviseurs moins cher. Grâce à quoi, ils ont pu bloquer les salaires des ouvriers et des employés ici. Et ils ont augmenté le rythme du travail, réorganisé les horaires pour tirer le plus gros bénéfice possible. Résultat, en France, un ouvrier vit 7 années de moins qu’un cadre.

            Il y a donc un combat entre ceux qui exploitent et ceux qui sont exploités. Et ce combat est une longue histoire, avec des hauts et des bas. Aujourd’hui, le monde ouvrier est en recul. Mais ça ne veut pas dire que l’ouvrier ne sert à rien. Plus que jamais, tout ce qui nous entoure, ce qui nous loge, ce qui nous nourrit, ce qui nous éclaire, nous chauffe ou nous habille, tout le travail ouvrier est indispensable. 

            Alors, que peut-on faire ? Eh bien, on peut garder en soi la fierté d’être ouvrier, de notre histoire. Car l’ouvrier, lui, n’exploite personne. On peut résister en gardant en soi le vieil espoir, l’envie, la volonté d’un autre monde, sans l’exploitation qui crée bien des injustices. 

            S’il le faut, on peut à certains moments garder pour soi cette conviction. En sachant qu’on n’est pas seul à la souhaiter. Et lorsque c’est possible, on peut la partager. L’histoire n’est pas finie.

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