… Ces jeunes ne sont pas les plus nombreux. Mais c’est d’eux dont tout le monde parle. On finit par mettre dans le même sac toute la population d’origine immigrée. Une forme de racisme s’installe. Un racisme anti-arabe, anti-noir. Ce racisme, même ceux qui réussissent à l’école doivent le subir, lorsqu’il faut trouver un logement, un travail. Et une bonne part va rester au chômage…
Suite à la révolte des quartiers en juillet 2023, 4000 jeunes ont été interpellés par la police, 1200 condamnés, 770 à de la prison ferme. Le déclenchement a été le meurtre par un policier d’un jeune de 17 ans, Nahel, dans un contrôle routier dont on avait des images.
Pour que des milliers de jeunes se révoltent pendant cinq nuits d’affilée à travers tout le pays, il faut qu’il y ait des raisons profondes, nombreuses, et qui se sont accumulées depuis longtemps. L’une de ces raisons est le racisme que subit une part importante de cette population.
Les premières générations d’immigrés venus du Maghreb au 20ème siècle, ce sont les patrons français qui ont été les chercher. Ils ont choisi des jeunes, ne sachant ni lire ni écrire, et en bonne forme physique. Leurs enfants, leurs petits-enfants connaissent la suite : leurs pères ont été mis sur les travaux les plus durs, logés dans les immeubles les plus pourris, et sont restés toute leur vie au plus bas de la société. C’est cette vie de soumission que ces jeunes ne veulent pas connaître.
Une partie d’entre eux arrive, grâce à l’école, à obtenir les diplômes nécessaires pour avoir une chance de trouver un travail, plus ou moins stable. Tout comme les jeunes dont les parents et grands-parents sont français, dans le même quartier.
Mais d’autres n’y arrivent pas. Souvent les derniers nés d’une famille nombreuse, où le père manque, qu’il soit malade, parti ou décédé ; on les a obligés à une orientation scolaire qui ne leur va pas. Ils comprennent de plus en plus tôt qu’ils n’ont aucune chance de s’en sortir.
Ne voyant rien de bon arriver pour eux, ces jeunes se mettent à avoir la « rage ». Ils ressentent une envie de détruire et en même temps de se détruire eux-mêmes. Certains trouvent une force en se regroupant à quelques-uns au pied des immeubles. Ils prennent un territoire, et se mettent à provoquer, à choquer les autres, les français -comme si tous étaient contre eux- et même certains pères immigrés, qui veulent leur faire la morale.
Ces jeunes ne sont pas les plus nombreux. Mais c’est d’eux dont tout le monde parle. On finit par mettre dans le même sac toute la population d’origine immigrée. Une forme de racisme s’installe. Un racisme anti-arabe, anti-noir. Ce racisme, même ceux qui réussissent à l’école doivent le subir, lorsqu’il faut trouver un logement, un travail. Et une bonne part va rester au chômage.
Le racisme répandu au sein même de la population n’est pas très ancien. Au temps de l’esclavage puis des colonies, ce sont surtout les élites qui sont racistes. Mais cela change avec la grande crise des années 1974/1975. C’est que le chômage, très faible jusque-là, est soudain monté. Des travailleurs français ont commencé à voir les immigrés comme des concurrents : ils acceptent de mauvais salaires, ils risquent d’être embauchés par les patrons et de prendre leur place.
Les grands partis et les syndicats, puissants à l’époque, auraient pu proposer comme programme de lutter, tous ensemble, immigrés et français. On aurait pu essayer de se battre pour obliger les patrons à embaucher tout le monde, tous ceux qui veulent travailler. On aurait pu exiger que le travail soit partagé entre tous. Cela aurait uni tous les travailleurs, pour aller vers une société bien meilleure. Il aurait fallu s’attaquer aux patrons, qui préfèrent embaucher le moins de monde possible, aux plus bas salaires.
Au lieu de cela, ce sont les patrons qui ont attaqué le monde du travail. Le chômage s’est aggravé. Toutes les conditions de travail et de salaire ont reculé. La division a été amenée au maximum entre travailleurs, jusqu’à ce que chacun soit dans une situation différente de son voisin. Diviser pour régner. Et le racisme, au lieu d’être passager, est devenu profond, tenace.
Ni les lois, ni les leçons de morale n’en finiront avec le racisme. Il est apparu avec la concurrence, quand les uns craignent de se voir abaissés au niveau d’autres qui sont en situation inférieure. Il existera tant que cette concurrence, et cette inégalité, ne seront pas remises en causes.
La concurrence et l’inégalité, voilà ce qui crée du racisme. Et c’est la chair du capitalisme.