379- Nature humaine : ce que nous dit notre histoire

... Il y a 50 000 ans déjà, des Homo Sapiens fabriquaient des parures, des bijoux, dirions-nous aujourd’hui, avec des coquillages qui avaient voyagé sur des centaines de kilomètres. C’est donc une capacité à vivre ensemble, à échanger même avec un groupe inconnu, qui explique sans doute le mieux que Sapiens se soit développé, et a colonisé toute la planète, des pôles jusqu’aux îles et aux montagnes. Cette sociabilité nous a donné le contrôle du monde. Nous avons créé des réseaux sociaux, des vrais, depuis l’âge de pierre... 

            Il y a 300 000 ans, il y avait sur Terre de nombreuses espèces d’humains : Néandertaliens, Dénisoviens, Homo Naledi, Homo Sapiens, et peut-être d’autres encore. Mais bientôt, il n’est resté qu’une seule et unique espèce, les humains actuels : Homo Sapiens. Aux quatre coins du globe, nous sommes les mêmes. Et nous sommes les seuls sur Terre depuis 25 000 ans.

            Pourquoi, comment expliquer la disparition des autres ? Les chercheurs ont d’abord pensé à une élimination par des guerres, par la violence, par une force quelconque. Mais ça ne tenait pas. Néandertal, par exemple, était nettement plus robuste, plus fort que Sapiens.

            On a alors été voir du côté de la taille du cerveau. Mais Néandertal a un gros cerveau, comme nous. Son lobe temporal est même plus gros, ce qui lui donnait une meilleure vision que nous. Mais on a fini par trouver une différence essentielle. Si le bébé Néandertal a le même cerveau que notre bébé Sapiens, on s’aperçoit qu’en grandissant, celui du petit Sapiens devient très vite de plus en plus compliqué, et pas celui de Néandertal. Cela se voit aux empreintes que laisse le cerveau à l’intérieur du crâne.

            On s’est alors dit qu’on devrait arrêter de voir le corps lui-même, et qu’il fallait étudier la façon de vivre pour chaque espèce. Et on a réalisé que notre espèce, Sapiens, a su construire des groupes humains de plus en plus nombreux, de plus en plus compliqués. Chose que l’on ne trouve pas ailleurs.

            Si vous mettez ensemble dans un autobus un groupe de chimpanzés qui ne se connaissent pas, s’ils ne sont pas de la même famille, ils vont se battre, peut-être jusqu’à la mort. Nous, nous nous supportons. Nous avons développé une capacité à nous sentir quelque chose de commun avec un autre humain. Il nous suffit de penser qu’on est de la même région, ou qu’on a une même croyance, en un dieu, ou dans l’humain en général. Nous sommes capables de faire confiance à un inconnu, et nous pouvons communiquer, coopérer avec lui.

            En étant plus ouverts à une vie en société, en allant bien au-delà de la seule famille biologique, nous avons construit des sociétés plus fortes, et nous avons fabriqué une intelligence collective supérieure, bien supérieure à celle des individus les plus intelligents.

            Au cours du temps, l’arcade au-dessus des sourcils a diminué chez Sapiens. C’est l’indice que l’hormone de l’agressivité, la testostérone, a baissé aussi. La force du groupe social a permis de devenir moins violent. Et en échange, s’est développée la sérotonine. Et la sérotonine, elle, renforce une hormone qui pousse à l’aide sociale, l’ocytocine. Elle est transmise au nourrisson par le lait de sa mère.

            Il y a 50 000 ans déjà, des Homo Sapiens fabriquaient des parures, des bijoux, dirions-nous aujourd’hui, avec des coquillages qui avaient voyagé sur des centaines de kilomètres. C’est donc une capacité à vivre ensemble, à échanger même avec un groupe inconnu, qui explique sans doute le mieux que Sapiens se soit développé, et a colonisé toute la planète, des pôles jusqu’aux îles et aux montagnes. Cette sociabilité nous a donné le contrôle du monde. Nous avons créé des réseaux sociaux, des vrais, depuis l’âge de pierre.

            Oui, mais voilà : cette explication n’est pas du tout dans l’air du temps. Toutes les séries, tous les jeux vidéo, tous les discours qu’on entend, tout nous pousse aujourd’hui à penser que l’être humain n’est que violence, force, égoïsme, individualisme. Et qu’il faut se battre seul, et contre tous.

            Alors, qui a tort ? Une histoire de cinquante mille ans et plus ? Ou ceux qui répètent les idées de profit égoïste, d’individualisme, qui ont gagné il y a mille ou deux mille ans, quand certains ont pris le pouvoir sur les autres. Et qui, depuis, abiment, non seulement la planète, mais plus gravement sans doute, la société humaine.

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