… Les paradis fiscaux ne sont donc pas seulement un moyen de ne pas payer d’impôt ou d’en payer moins. Pour les grosses sociétés multinationales, ce sont les endroits d’où elles distribuent des milliards dans le grand jeu de la finance mondiale. En France, BNP Paribas, Le Crédit Agricole, la Société Générale, la Banque postale, ont 400 filiales dans 15 paradis fiscaux…
Pas clairs, les paradis fiscaux. A certains moments, silence complet, à croire qu’ils n’existent plus, que le problème est réglé. Puis soudain, un scandale éclate : une personnalité y planque sa fortune pour ne pas payer d’impôts.
Des impôts, les Etats en ont besoin, surtout depuis la crise du Covid, et déjà avant, avec la crise de 2008. Sans impôt, pas de police, mais aussi pas d’école, pas d’hôpitaux publics. En 2009, un groupe de pays riches, l’OCDE, avait décidé de faire la chasse aux paradis fiscaux. Il a obligé les pays où un étranger ouvre un compte bancaire à le dire à son pays. C’est l’échange automatique d’informations fiscales. De peur d’être poursuivis en justice, 50 000 Français ont rapatrié leur argent, surtout placé en Suisse, ce qui a rapporté 7 milliards d’euros aux impôts français. Alors, finis les paradis fiscaux ?
Pas sûr du tout. Pour commencer, un pays comme les Etats-Unis refuse cet échange d’informations. Surtout, les grosses entreprises mondiales continuent de profiter des paradis fiscaux. Elles y gagnent, au bas mot, entre 100 et 240 milliards d’euros par an. De l’argent qui aurait dû aller aux impôts de leurs pays, et qui aurait pu servir à renforcer les hôpitaux, les écoles.
Comment font ces grosses boîtes ? Apple, par exemple, a des filiales, des sociétés filles, en Irlande, où les impôts sur les bénéfices sont très faibles. Là, Apple ne paye pas d’impôt, car sa direction se trouve aux Etats-Unis. Apple qui se trouve en Irlande s’arrange pour que la maison-mère aux Etats-Unis, et les autres Apple dans le monde, et la filiale en France, ne fassent pas trop de bénéfices ; et n’aient donc pas à payer d’impôt non plus. Comment ? En leur facturant des services bidon et très chers. Les bénéfices s’accumulent donc en Irlande, et repartent aux quatre coins du monde agrandir Apple.
Les paradis fiscaux ne sont donc pas seulement un moyen de ne pas payer d’impôt ou d’en payer moins. Pour les grosses sociétés multinationales, ce sont les endroits d’où elles distribuent des milliards dans le grand jeu de la finance mondiale. En France, BNP Paribas, Le Crédit Agricole, la Société Générale, la Banque postale, ont 400 filiales dans 15 paradis fiscaux.
On entend parler de Jersey, des îles Caïman, des îles Caraïbes, des paradis presque exotiques. Mais les plus gros paradis sont sous nos yeux. Aux Etats-Unis, un Etat, le Delaware fait payer moins d’impôts aux sociétés : la moitié des sociétés américaines qui sont en Bourse se retrouve là. En réalité, elles ont juste une adresse pour leur siège social.
Le numéro un mondial des paradis fiscaux, les hommes d’affaires le savent, c’est Londres et son quartier La City. C’est là qu’a été inventée dans les années 1920 l’idée de ne faire payer l’impôt à une entreprise que là où se trouve sa direction. Londres, les Etats-Unis, le Luxembourg, Monaco, les Pays-Bas, sont au cœur du fonctionnement des paradis fiscaux. En cas de problème, le système s’arrange pour qu’on ne parle que des pays exotiques : ce qui donne l’impression que les grands sont bien propres.
Voilà pour les sociétés multinationales. Quant aux personnes riches, celles qui possèdent un million de dollars sont 20 millions dans le monde, et elles possèdent plus de 60 000 milliards de dollars. De quoi se payer avocats d’affaires et autres spécialistes, pour se trouver une planque sur un coin de la planète.
Les riches et les puissants ont toujours voulu échapper à l’impôt. Et ceux qui font, de temps en temps, un peu la chasse aux paradis fiscaux sont en fait du même monde : les classes riches et leurs représentants. Voilà pourquoi les paradis fiscaux ne peuvent pas être vraiment supprimés.
Si, de temps en temps, certains font mine de faire le ménage, c’est qu’ils craignent que la population se mette à le faire elle-même. Car si elles s’y mettaient, les populations verraient toute la pourriture du grand paradis capitaliste. Et elles voudront alors faire un grand ménage.