398- Expulsions : une machine inhumaine

...Quelque chose comme un million de familles sont propriétaires de la moitié de tous les logements loués dans le privé en France. Sans rien faire du tout, ils se sont enrichis d’un tiers en plus de ce qu’ils avaient déjà il y a vingt ans. Mais entre temps, c’est un demi-million de personnes qui ont été jetées à la rue sur cette période, expulsées de leur logement...

 

            Le loyer, pour ceux qui sont locataires, c’est la plus grosse dépense à payer chaque mois. Et de très loin. Si on n’arrive pas à payer son loyer, c’est le risque de se retrouver dans la rue. Et pour que cela n’arrive pas, des familles ne se chauffent plus, ou se privent de nourriture. Avec les loyers qui augmentent plus que le reste, les aides au logement (APL) qui ne suivent pas ou qui diminuent, cela devient difficile. 

            Beaucoup veulent d’abord sauver leur dignité : être en règle avec la crèche, la cantine des enfants, leur acheter des vêtements, offrir les cadeaux de Noël à la famille, permettre aux enfants d’avoir des vacances. Sinon, de quoi on a l’air ! Le loyer passe après. 

            Le loyer qui augmente, c’est une épée au-dessus de la tête pour le locataire. En une vingtaine d’années, depuis le début des années 2000, les loyers ont augmenté de 37% en France, aussi bien dans le secteur privé que pour les HLM. Alors que les salaires, eux, n’ont monté que de 13% en moyenne, sans doute moins pour les plus démunis. 

            Cette différence qui peut finir par mettre le locataire à la rue, elle ne s’est pas envolée, elle est allée dans la poche des propriétaires. En 2022, 17 500 familles, c’est-à-dire 38 000 personnes, ont été expulsées. C’est trois fois plus en vingt ans.

            Quelque chose comme un million de familles sont propriétaires de la moitié de tous les logements loués dans le privé en France. Sans rien faire du tout, ils se sont enrichis d’un tiers en plus de ce qu’ils avaient déjà il y a vingt ans. Mais entre temps, c’est un demi-million de personnes qui ont été jetées à la rue sur cette période, expulsées de leur logement.

            C’est une des règles du système capitaliste : celui qui est propriétaire empoche les bénéfices. Lui et lui seul. Et cette règle, au fil des années, enrichit de plus en plus celui qui est propriétaire, laissant les autres de plus en plus loin derrière. 

            Et pourquoi les loyers et les logements en général voient-ils leur prix augmenter ? Tout simplement parce qu’il n’y en a pas assez. S’il y en avait plus, les prix diminueraient, comme celui des tomates sur le marché. L’intérêt de ceux qui en ont les moyens n’est donc pas de construire trop de logements, mais qu’il en manque toujours, de manière qu’ils continuent de coûter cher. Un autre résultat est qu’il y a 4 millions de gens qui vivent dans des logements surpeuplés, ou vétustes, avec des risques pour la santé, et 330 000 sans domicile.

            Un dirigeant a essayé de lutter, un peu, contre cette injustice. C’est Castro, à Cuba, après la révolution de 1959. Il a nationalisé tous les immeubles : il a décidé que c’est l’Etat qui les possédait, et il a remboursé les propriétaires petit à petit. Les locataires, eux, n’avaient plus à payer qu’un loyer divisé par deux. Au bout de cinq à dix ans, les locataires devenaient propriétaires de leur logement. 

            Aujourd’hui en France, presque la moitié (40%) de la population est encore locataire. Le locataire doit payer chaque mois un gros loyer au propriétaire, sans jamais devenir lui-même propriétaire. Devinez qui s’appauvrit ou reste pauvre, et qui peut s’enrichir. 

            Lorsqu’un locataire a des dettes de loyer, le propriétaire peut demander l’expulsion. L’affaire passe alors devant un juge. Le juge peut donner un délai au locataire pour rattraper son retard de paiement. Mais plus la personne est pauvre, ou si son travail est irrégulier, plus le juge risque de décider une expulsion. Huit fois sur dix, le propriétaire est accompagné de son avocat ; il est à l’aise, et parle fort pour dire son droit. Le locataire, lui, n’a presque jamais d’avocat ; il n’ose pas élever la voix. En moyenne, l’affaire est réglée en 5 minutes. 

            Si l’expulsion est prononcée, la police fait une enquête : elle regarde s’il y a un risque que les voisins, ou des jeunes du quartier, veuillent empêcher l’expulsion ; elle et les assistantes sociales vont chercher à convaincre le locataire de partir de lui-même. Un tiers environ, le font : autant qui ne seront pas comptés officiellement dans les chiffres des expulsions. D’autres trouvent le moyen de payer, d’avoir encore un délai. 

            Sinon, arrivent sans prévenir, tôt le matin, un policier, un huissier, un serrurier. Le policier prévient : s’il y a besoin, il appelle les renforts. Mais le plus souvent, écrasés moralement, les gens sortent. Comment s’opposer, seul, à l’Etat ? On leur laisse le temps de prendre une douche, quelques vêtements, des médicaments. Et c’est la rue. 

            C’est inhumain. Cela pourrait être pris en charge par la société. Mais c’est une question de principe pour le capitalisme : la propriété privée, c’est sacré !

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